vendredi 10 décembre 2010

Les derniers jours d'Eva Korb

Chapitre 3 : Face à soi


Eva korb se réveille, elle ne s'était pas assoupie, mais endormie, vraiment. Une bonne heure !

Son chat est prés d'elle, il est resté là sur la couette, à ses côtés, il ronronne, somnolant lui aussi, ravi de cet intermède.

Eva Korb se réveille doucement. Elle est réchauffée, un peu assommée... Elle n'a pas l'habitude de s'endormir ni de se coucher dans la journée. Tout est sombre dans la pièce. Les volets fermés... Une nuit en plein jour !
Elle hésite, ne sait que faire ? Rester ici, dans son lit, ne pas bouger, s'endormir à nouveau... Se lever ?

Alors elle se lève...
Tremblante, chancelante...
Elle se dirige vers son bureau....
L'ordonnance, les enveloppes la rappellent à la réalité. Non, ce n'est pas un cauchemar, elle n'a pas révé, c'est vrai, réel, ces événements se sont bien passés...
Le réel, ce difficile retour au réel !

Tout revient en bloc, le médecin, la masse, mal placée, le rendez vous ,les scanners, le spécialiste

Eva Korb va mourir !

Le sommeil, cette parenthèse dans l'obscurité, prés de son chat.... Rien ! Rien qu'une mise à distance..Un leurre...
Même pas du temps gagné, du temps volé...
Eva Kork se laisse choir dans un fauteuil, regarde autour d'elle !
Puis saisie d'une inexplicable énergie elle prend l'aspirateur, range, nettoit. Il faut que la maison soit propre !
Pourquoi ? Elle n'en sait rien.

Mais elle se sent bien, mieux, elle a faim ! Elle se prépare un '"en cas" et se dirige vers son bureau...
Du travail !
Cela la rassure un peu. Des choses à faire pour plus tard, un avenir autre que sa propre mort, peut-être, mais pour combien de temps ?

Elle décroche son téléphone appelle sa fille, elle a besoin d'entendre une voix, une voix qu'elle aime.Une voix familière. Elle aimerait dire :
"Je vais mourir, j'ai peur.. "raconter ce rendez vous, partager.

Eva Korb aimerait qu'on s'occupe d'elle, qu'on la prenne en charge.. Ce "on" ?
Alors elle se met à rêver sur ce "on". Un "on" imaginaire qui la dorlotterait, l'écouterait, l'entendrait, lui préparerait des petits plats, prendrait ses rendez vous chez ces spécialistes, chercherait des remèdes, l'accompagnerait, lui tiendrait la main, la rassurerait, l'écouterait pleurer, se plaindre, gémir, dire qu'elle ne veut pas mourir, pas encore, pas maintenant, qu'elle n'est pas prête
Un "on" qui négocierait pour elle, marchanderait du temps, des années, parce qu'elle n'a pas fini, pas fini de vivre, pas fini de faire, pas fini d'aimer.
Un "on" qui expliquerait tout ça...
Qu'il reste encore des années, du temps, qu'elle voudrait vieillir !
Eva Korb se trouve trop jeune pour mourir. Mais y a t-il un âge pour ça ?
Juste ? Injuste ? Quel avenir ? Quel destin ? Qui décide ?
Eva Korb se regarde dans la glace, et imagine des rides, elle qui était terrifiée à la vue d'un cheveu blanc, elle aimerait tant.
Une vieille femme !
"J'aimerai devenir une vieille femme " dit elle tout haut !

Sa fille lui répond, elle est malade, encore un petit mal de gorge, car elle ne s'était pas couverte comme toujours, ne savait pas qu'il allait pleuvoir, a oublié son parapluie... Sa gorge la géne.. Elle se sent fatiguée, courbaturée, devra prendre encore du paracétamol...
Eva Korb reste sans voix, il lui faut la consoler, lui dire comment se soigner, la rassurer...
Cette petite angine, sans gravité semble terrible...! Comme si le monde allait s'effondrer. Et puis cette nouvelle paire de chaussure...Et ce petit pull qu'elle a vu en vitrine ? Bleu ou noir ? Elle ne sait pas ? Peut-être les deux ?
Sa fille ne lui demande pas comment elle va. Car elle ne peut qu'aller bien.
Eva Korb ne parle pas d'elle, l'embrasse et raccroche !

Comme elle aimerait elle aussi n'avoir que ce dilemme ? Se demander quelle jupe elle va acheter ?
Comme cela lui parait doux ! Cette futilité, cette douceur de vivre...

Seule ! Eva Korb est seule jusqu'à la fin de la semaine, son mari est à Londres pour le travail, elle ne peut pas lui parler de ça !
Pas par téléphone ! Elle ne sait même pas si elle peut parler de ça, même de vivre voix ! Même à lui !
Comment elle pourrait lui dire ça ?
Comment en effet répondre aux autres qui vous demandent : bonjour, ça va bien ?"
"En fait non, je vais mourir..."
Ca ne se dit pas, "je vais mourir" c'est impoli, indécent !
Elle imagine leur tête à ces gens innocents, à ces gens bien élevés qui croient bien faire !
Leur tête, leur mal aise...Leur embarras !
Alors elle ne dit rien.

Ce terrible secret lui pèse, il est vraiment trop lourd pour elle ! Eva Korb aimerait déposer un peu de ce fardeau quelque part, mais où ?
C'est là le noeud !
Eva korb voudrait arréter n'importe quel inconnu dans la rue et lui dire, "je vais mourir"...
Comme ça, le dire seulement, mettre l'autre dans le coup
Dans ce sale coup là, ne plus être seule en quelques sorte.. Qu'il y ait au monde un autre, des autres, des inconnus qui soient dans le coup, qui savent, qui connaissent son secret
D'autres que ce médecin qui s'en fout, car elle n'est pour lui qu'un numéro de dossier, une masse mal placée qui le met, lui savant, en échec
Elle la mauvaise, pas même fichue d'avoir une masse bien placée qui pourrait guérir, flatter l'égo professionnel de ce praticien qui se sentirait alors utile, indispensable, qui l'accompagnerait, lui délivrerait des ordonnances, des drogues... Des conseils
Mais là ? Que dire ?
D'ailleurs il était sans mot, il l'a congédié...Avec une lettre quand même, pour un autre, mais pour quoi ?
Eva Korb se met à aimer les inconnus, ces inconnus qui passent...

Elle allume la TV, rien d'interressant mais la solitude lui pése trop, elle a besoin d'une présence... D'une sorte de fond sonore ! Elle ne se sent pas le courage de mettre un disque, choisir une musique, elle s'en remet à l'autre, encore, aux autres, aux émissions de télé.. Ordinaires.
Elle se met à son bureau mais n'arrive pas à travailler, pourtant !
Eva Korb ne peut rien faire. Elle allume son ordinateur...

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