lundi 27 décembre 2010

L'étrangère 13

Chapitre 13 : En...Fin de compte.

-« Mais qui peut venir à des heures pareilles et pour faire quoi ? Hein ? Tu as une idée toi ? »
Son mari se perd en hypothèses, en questions, il cherche, s’interroge, excité par un besoin, une soif de savoir, de comprendre, de trouver des réponses
Marina Skozy s’amuse presque de le voir dans cet état là.

-« Un quartier calme, des gens calmes, sans histoires ! »

Marina Skozy ne dit toujours rien, elle sourit :
« Des gens sans histoires, ça n’existe pas, tous les gens ont une histoire, tous les gens font des histoires, racontent des histoires, en font toute une Histoire, c’est l’Histoire qui s’écrit avec la somme de toutes ces histoires de gens sans histoire »

Une histoire ? Comment imaginer cela, ici, dans ce « village », sur cette mauvaise terre, où rien ne se passe vraiment, ou tout passe…
Marina Skozy reste silencieuse, non parce qu’elle n’a rien à dire, mais parce qu’elle a fait le choix de ne rien dire… Dire quoi ?
Marina Skozy sait que les gens ici ne sont pas sans histoire, qu’il faut se méfier de ce qui semble calme, de ce qui parait banal.
Elle sait, elle a toujours su.

Pendant des jours et des jours, elle a observé, elle a enquété, elle a mis bout à bout les événements, avec précision, minutie. Un vrai travail d’orfèvre, du sur mesure, ciselé,
Petit à petit elle a reconstitué l’histoire de ces gens sans histoires.
Elle ne dit rien. Mais elle sait.
Marina Skozy sait que cette mauvaise terre renferme bien des secrets, bien des mystères, qui ne peuvent être révélés. Surtout pas à elle, l’étrangère !
Surtout pas par elle, l’étrangère !
Car étrangère elle est sur cette mauvaise terre, qui ne veut pas d’elle, et dont elle ne veut pas non plus.
Etrangère elle est et restera ; car il ne peut en être autrement, elle ne le veut pas.
Etrangère ici. Seulement ici.
Car on est toujours étranger quelque part, étranger dans un ailleurs, dans un ici qui n’est pas le sien.
Justement…. Ici

Mais étrangère à qui ? A quoi ?
A ces autres là ? Mais eux ne le sont-ils pas ? Etrangers ? Aussi
Etrangers à cette mauvaise terre, dont ils n’ont su que faire, dont ils n’ont su rien faire, cette mauvaise terre qu’ils n’ont su ni apprivoiser, ni comprendre, ni aimer, ni estimer, ni connaitre.
Ils n’ont même jamais pris la peine de s’y arréter vraiment, ils ont pris, pris, ravis, sans ravissement aucun, ni pour eux, ni pour cette terre, qui n’a pu que rester mauvaise, stérile, refusant de se donner pour se préserver .
Alors elle ne leur a rien donné cette mauvaise terre, elle a tout gardé, n’a rien voulu partager, offrir à ceux, qui n’ont pas su s’en montrer dignes..
Dignes de la Terre !
Car il faut être digne, il faut respecter, il faut remercier, reconnaitre, cet Autre là, cette Terre nourricière qui accueille, offre l’hospitalité et sait se montrer généreuse, qui offre des trésors à celui qui sait la prendre… Avec amour.
Ici ? Non. Pas question d’amour, de tendresse, de sentiments.
De senti ment….
Une mauvaise terre qui est restée mauvaise car ils n’ont pas su la rendre bonne, meilleure, généreuse, parce qu’ils n’ont pas su lui donner l’amour nécessaire, la tendresse.
Une rencontre ratée qui n’a pas même pu être charnelle, une rencontre faite de rapports violents et pleins de haine, cette terre qui a été encore et encore, à multiples reprises bafouée ,violée…Saccagée !
Mise à sac, c’est bien ça
Une mise à sac digne de barbares, de monstres et de sauvages…


Ces autres là, sont étrangers, véritablement, réellement, vraiment.
Etrangers aux autres, à eux-mêmes, en exil…. Exilés de l’amour, exilés de la vie, exilés de leur propre existence, en exil d’eux-mêmes
Incapables d’aimer la terre qui leur offre l’hospitalité. Incapable d’aimer, de s’aimer
Ces autres là…. Vils, infâmes, cruels, violents, méchants, traitres, menteurs, pervers, ignobles, capables seulement du pire, et jamais du meilleur…

Marina Skozy les hait, les hait de trop bien les connaitre… De les avoir trop vus pendant ses années d’exil à elle.
Marina Skozy les connait si bien qu’elle pourrait prédire, anticiper leurs paroles, leurs réactions, leur comportement. Elle sait ce qu’il vont dire, comment ils vont se défendre, surtout s’ils ont tords, surtout s’ils sont les agresseurs. Sur tout !
Car ils ne savent pas faire autrement, habiles manipulateurs, ils tentent toujours de retourner la situation en leur faveur.
Pour sûr qu’ils ont répondu, mais, l’autre, n’était-il pas étranger ?
Ce discours combien de fois l’a-t-elle entendu…

Cette mauvaise foi… Une sorte de signature singulière, unique, celle de ces gens là !
Presque plus rien ne l’ étonne !
En arrivant ici, elle pensait avoir côtoyé le pire, l’horreur, tant l’âme humaine était noire. Pourtant, elle découvrait jour après jour que celle-ci pouvait l’être encore bien davantage.
Lorsqu’elle travaillait encore elle rencontrait chaque jour un peu plus d’horreur. Ames noires et lugubres…Mais avaient-ils vraiment une âme ?

A présent que sa mission est terminée, que son exil prend fin Marina Skozy semble retrouver la paix, le calme. Retrouver son âme, son âme à elle…
A présent qu’elle a percé enfin, sondé l’âme de ces étrangers là, elle se sent presque en paix avec elle-même
Alors elle ne dit rien. Elle se sent encore et toujours en territoire ennemi, en danger.
Ses autres là s’ils ne sont rien peuvent être puissants de par leur méchanceté.
Elle a choisi le silence, mais elle sait
Elle sait qui ils sont.
Elle a mis à jour ce qu’ils tentent désespérement de cacher, de taire, ce qui anime leur haine de l’autre, de l’étranger, qui pourrait avec un regard neuf, presque naïf y voir clair du premier coup.
Ces âmes ternes qui ne vivent, survivent et se reproduisent au sein de cette embrouille, qui se vautrent dans le marécage de leur manque de conscience.
Car de conscience ils n’ont pas…
Ils ne peuvent avoir
Marina Skozy sait tout ça, elle a longuement appris tout ça. Expérimenté au sein de ce lugubre laboratoire elle a mis en évidence cette noirceur…
Marina Skozy a décodé, mis en mot, traduit, compris…
Un peu comme une langue, une culture inconnue, ou qui n’existe plus. Comprendre ces gens là !
Marina Skozy ne les a pas aimé d’emblée, elle s’est toujours fiée à son intuition, à sa première impression, s’est maintenue en alerte
C’est à ce prix qu’elle a survécu…
C’est à ce prix qu’elle a reconstitué l’histoire.
L’histoire ? Y a t-il ?
Sans histoire !
Et quelle histoire que tout ça, une misérable histoire, celle de gens misérables, certes !

Marina Skozy sait…
Marina Skozy sait quelle est cette voiture
Marina Skozy sait qui conduit cette voiture
Marina Skozy sait ce que vient faire cette voiture toutes les nuits, à la même heure ou presque
Marina Skozy sait qui est cette voisine bien tranquille
Marina Skozy sait la nature de l’objet…
Marina Skozy ne dira rien, elle en a terminé….
Marina Skozy peut à present s’en aller, s’en retourner
Etrangère en pays étranger, son exil lui parut bien long.. Trop long..
A présent s’est terminé…

FIN

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